Irak: Un jeûne au parfum de guerre civile
· Le mois sacré coïncide avec des pèlerinages à Karbala et Nadjaf
· Les plats collectifs du f’tour, une tradition laissée par Saddam
· Chiites et sunnites se font inviter à la rupture du jeûne
Depuis la chute du régime baasiste, un parfum de guerre civile flotte dans les principales villes. Que ce soit à Bagdad, Bassora, Fallouja, Mossoul ou Karbala… le constat est le même. Chiites, sunnites, Kurdes… s’entretuent au quotidien. «La Mésopotamie a toujours été l’objet de convoitises, mais les Irakiens ont cette particularité de surmonter les difficultés et les drames de l’histoire», s’enorgueillit Mohamed Wahib, homme d’affaires irakien. Les Irakiens jeûnent sur fond de guerre civile, d’enlèvements et d’attentats au quotidien. Cette année, ils redoutent une nouvelle vague de violence. Du coup, les privations sont sur fond d’inquiétudes. Premières privations cette année, «un couvre-feu nocturne est imposé dans les grandes villes. Il n’y aura que six heures d’électricité par jour au rythme d’une heure et demie toutes les quatre heures». Rien d’étonnant à ce que les lampes à pétrole soient prises cette année autant que les provisions, pendant le Ramadan. A Bagdad, les habitants se risquent de moins en moins à circuler d’un quartier à l’autre en raison de l’insécurité. La vigilance est de mise. Mais rien n’empêche les visites et prières du coucher du soleil jusqu’à l’aube. Malgré les attentats qui frappent généralement les lieux de rassemblement et les marchés, les souks de Bagdad ont retrouvé une certaine animation, surtout celui de Chorja, qui offre divers produits importés d’Asie, d’Iran et de pays arabes voisins, poursuit Wahib.
Comme du temps du régime déchu, la tradition est pratiquement la même durant le mois sacré. «Les visites se poursuivent entre proches, voisins, familles et amis tout au long du mois. Souvent, chiites et sunnites se font inviter durant l’Iftar et le dîner». Généralement, les mêmes rituels sont pratiqués que l’on soit chez les Kurdes de Arbil et Kirkouk, ou au Sud chez les Chiites de Nadjaf, Karbala, Al Koute ou encore chez les sunnites de Bagdad, Mossoul, Tikrite (origine de Saddam) et Ramady. Excepté quelques variations, Kurdes, sunnites et chiites ont les mêmes coutumes. Mais il y a le décalage durant la première journée du jeûne (la tradition chez les chiites étant d’observer le jeûne en même temps que les Iraniens, soit généralement 24 heures d’avance que leurs concitoyens sunnites). Ramadan en Irak, c’est surtout un mois de spiritualité intense. La mosquée Oum Toboul de Bagdad est celle qui enregistre le plus grand nombre de fidèles durant le mois sacré. A Al Kadimia par exemple, le nombre de pratiquants peut dépasser les 2.000 et ce, dans un seul lieu de culte. Les mausolées des Alaouites accueillent aussi des fidèles pour les prières des Taraouihs.
La mosquée de Koufa est toujours pleine à craquer. C’était le QG de Ali Ibn Abi Talib, le quatrième calife orthodoxe. Hommes, femmes et enfants s’y rendent de plus en plus nombreux. Et la teneur des prêches galvanise les foules. Surtout lorsque les diatribes antiaméricaines se mêlent à la causerie. Autre particularité irakienne pendant le Ramadan: le pays devient une destination prisée par des touristes des pays voisins. Mais ce n’est pas n’importe quel tourisme puisque celui-ci est empreint d’une forte charge religieuse. Une véritable industrie de tourisme religieux s’est développée. Normal, les lieux saints les plus sacrés des chiites sont en Irak et le pays abrite le plus grand nombre de mausolées, de sépultures de saints et de prophètes. C’est aussi le lieu de pèlerinage le plus prisé par les chiites après La Mecque. Les Iraniens sont les premiers touristes étrangers en Irak. Ils viennent surtout visiter les lieux saints de Nadjaf et Karbala, notamment l’Imam Ali et le dôme sacré. Plus de 1.500 touristes se rendent chaque jour à Nadjaf et Karbala. Un rituel qui remonte à plus de 1.300 ans. Les Irakiens sont conscients que depuis plus de 1.300 ans, ce qui les unit avec les Iraniens, c’est d’abord le chiisme. Iraniens, Indiens, Pakistanais… se rendent deux fois par an (pendant le Ramadan et après La Mecque) accomplir un pèlerinage à Karbala, Nadjaf, Al Kadimia ou encore Al Adamaia… ce sont des lieux de recueillement sacralisés. La tradition est de compléter le pèlerinage à Karbala, Nadjaf et Al Kadimia. Mais aussi la ville de Samaraa où repose Al Imam Al Mahdi. Les fidèles viennent de partout (Inde, Pakistan, Iran…) en autocars bigarrés pleins de folklore et de couleurs se recueillir dans les mausolées.
La tombe de Abdelkader Jilali à Bab Cheikh au centre de Bagdad (non loin du mausolée de l’Imam Al Ghazali) est également très sollicitée. Pour les chiites, le centre du monde se trouve en Irak. L’Achoura, contrairement aux pays de tradition sunnite, est célébrée en deuil puisqu’elle commémore le martyre d’Al Hussein (petit-fils du prophète et guide de tous les chiites …). Elle illustre parfaitement cet attachement spirituel à Karbala et au pays du Tigre et de l’Euphrate. A Bagdad comme à Karbala, la nuit sacrée est très éclairée, radieuse. Des décorations se font dans les mausolées pour la circonstance, des cierges, des lanternes… Les avenues qui mènent aux lieux de culte sont parcourues à pied, sur fond de tambourinement et de madih (chant spirituel). A quelques mètres des mausolées, des rassemblements de fidèles accueillent les visiteurs et ce, jusqu’aux aurores. Dès le coucher du soleil, l’ambiance est festive, avec de longs et copieux dîners en famille ou entre amis. L’influence iranienne va bien au-delà de la religion: elle est aussi dans les us et la cuisine. Le mets principal en Irak est d’origine iranienne. Appelé Dolma, ce mets est composé de courgettes farcies de viande hachée et de riz. A Bagdad, l’on raffole aussi du Kouzi Lahm. Il s’agit d’un agnelet de 1 mois de préférence farci de riz, de foie et de viande hachée. Le Tabssi, plat à base d’aubergines, d’oignons, de pommes de terre et de viande d’agneau de moins d’un an est aussi consommé pendant les dîners.
La tradition au pays de l’Euphrate est de préparer des plats collectifs pour la rupture du jeûne, surtout dans les quartiers populaires. Ce sont les grandes familles, les factions et les tribus qui organisent ce type d’opérations, appelé Mawaïd Al Iftar. Du temps de Saddam, c’était le ministère des Affaires islamiques qui organisait cette opération caritative. La particularité, de ce f’tour, c’est que démunis et nantis, chiites et sunnites partagent le repas ensemble pour se rapprocher les uns des autres. Le temps d’un f’tour, les hostilités sont laissées de côté. Les soirées sont longues à Bagdad. Les jeux de société sont le passe-temps favori des couche-tard. Outre le domino, les échecs et les jeux de cartes, les Irakiens veillent tard le soir dans les cafés et les salons de thé. Les noctambules sirotent du thé noir, café à la cardamome et autres jus de raisins et surtout de grenade. La chicha est une vieille tradition qui fait partie de la couleur locale.
Al Mahbesse: Un jeu légendaire
Autre vieille tradition dans les cafés, Al Mahbesse. C’est un jeu légendaire qui anime les cafés de Bagdad. Deux groupes venus de deux quartiers différents se mettent face à face. La partie consiste à cacher une bague en or. Et le dénouement de la partie est ponctué par la découverte de cette bague que l’un des joueurs doit dissimuler dans son poignet. Un jeu qui peut durer des heures et des heures. Tout se joue autour de l’intuition et l’intelligence, précise Wahib. Le pari est généralement sous forme de sucreries, gâteaux et jus. A la fin de la partie, de grands plateaux de Baklawa, Zlabia…. sont servis dans tout le café.
Amin Rboub
Source : L’Economiste
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