Les Iraniens jeûnent dans l’affliction
· La commémoration du martyr Ali, un rite du deuil
· Les imams font des diatribes sur Bush, le nucléaire…
Ramadan en Iran est marqué par la commémoration de l’anniversaire du martyr, l’Imam Ali. Chaque année, des millions de chiites iraniens (environ 90% de la population) revivent ce rite dans le deuil et la grande affliction.
L’Imam Ali Ibn Abi Talib, rappelons-le, est le gendre du Prophète. C’est le quatrième calife orthodoxe qui a été poignardé par les Kharijistes. Depuis, les chiites ne s’en sont jamais remis.
Durant trois nuits du mois sacré (du 19 au 21), ils commémorent donc le martyr. Ils plongent dans une ferveur intense, font des prières à partir de 23 heures et invoquent Dieu dans les Hosseynieh (lieux de culte) et mosquées.
Les plus radicaux se lacèrent parfois le visage et pleurent l’Imam. Chez les sunnites, l’Imam est celui qui dirige la prière du vendredi. Mais pour les chiites d’Iran, Imam veut dire guide. C’est le titre du chef légitime de la communauté musulmane tant sur le plan politique que religieux. Titre qui était à l’origine porté par Ali, ses deux fils et leurs 9 successeurs: les douze imams du chiisme.
Les chiites iraniens accueillent donc Ramadan autrement. Dès la mi-Chaâbane, ils commencent à jeûner, rangent, nettoient et décorent leurs foyers, mosquées et Hosseynieh… Ils prient et invoquent Dieu pour le retour de l’Imam Mahdi, le 12e imam du chiisme. Les Iraniens croient dur comme fer que les 11 Imams du chiisme sont des martyrs sauf le dernier (Al Mahdi). Des siècles après, «il est toujours vivant et va réapparaître en Iran», confie un Iranien.
A Téhéran, les horaires de travail subissent un léger changement pendant le mois sacré. Dans les administrations et les entreprises, la journée de travail commence à 8 heures et demie se termine à 15 heures et demie contre 16 heures 30 durant le reste de l’année.
Selon un Iranien, l’Iran a beaucoup changé. Certes, les images de la Révolution islamique sont ternes, la mine sévère des ayatollahs et des femmes vêtues de la tête aux pieds de tchadors ont marqué les mémoires. Mais la société a changé entre-temps.
La République offre un visage plus apaisé et le pays s’est engagé dans la voie du changement. Il en veut pour preuve: «les religions qui se côtoient et vivent dans le respect de leur croyance et leurs différences durant le mois sacré». Juifs, chrétiens, zoroastriens, sunnites, chiites… se côtoient à Téhéran, Asphahan, Yaza.
Mieux encore, sunnites et chiites partagent des fois le même f’tour dans un esprit convivial. Ni le repli communautaire, linguistique ou encore sectaire ne pèse comme avant.
Autre témoignage du changement, les autorités religieuses iraniennes ont utilisé, pour la première fois cette année, un avion pour observer l’apparition du croissant de lune.
Pendant Ramadan, les habitudes ne connaissent pas de grands changements. Les Téhéranais préfèrent flâner le jour en ville. L’habitude est de déambuler dans le gigantesque bazar de la capitale, de visiter la mosquée de l’imam Khomeyni et les nombreux parcs et jardins… principaux attraits de la ville. Le Palais national, dernière demeure du Shah, abrite maintenant un complexe de musées. Le musée Reza Abbasis est très sollicité, car il renferme des œuvres de l’art islamique: peintures, poteries, orfèvrerie… Téhéran abrite aussi le musée national iranien où est exposée une superbe collection de porcelaines, de figurines de pierre et de sculptures léguées par des millénaires d’occupation de la Perse.
Au coucher du soleil et contrairement aux sunnites, les Iraniens chiites préfèrent attendre environ 10 minutes après le muezzin, avant de rompre le jeûne: «Le temps de voir la première étoile au ciel et les prémices de la nuit».
A la rupture du jeûne, les Iraniens se mettent sur un tapis et partagent leur repas autour d’une nappe en plastique. Ils commencent par l’eau chaude, sucreries et rafraîchissements.
Tout aussi incontournables, les gâteaux notamment la zolbia (l’équivalent de la chebbakia), bamia et rotab. Les jus de raisin, d’orange et de pomme sont plus consommés au f’tour.
Ensuite, place à la soupe. L’Iran compte plusieurs variétés de soupes (légumes, vermicelle, concentré de tomate…).
Après le f’tour et la prière, place au dîner. Le riz est la base de toute nourriture iranienne. La variété la plus connue est Basmati. Elle est généralement cuite avec du poulet, poisson ou viande. Les plats de résistance les plus connus sont Joujé (coquelet mariné dans le jus de citron, le safran et l’huile d’olive) ou Chélo (veau ou agneau) kebab. Le plat national numéro1 est le «tchelo-kabab» (du riz accompagné de viandes rôties découpées en lamelles, des oignons frits, du safran, du poivre. La boisson qui accompagne le «tchelo-kabab» peut être tout simplement du «dough», une sorte de petit-lait très dilué.
Le pain iranien est une sorte de grande crêpe cuite. Appelé le nan, il est fait à base de blé dur. Cuit sans levain, le pain se présente sous forme d’une bande très longue ou une galette ronde.
Le dessert (Fereni) est généralement un yaourt, du lait caillé ou des fruits. Les Iraniens sont friands de fruits. On en sert à tous les repas. Le thé (tchaï) est non moins important. C’est l’une des boissons les plus consommées.
La cuisine iranienne traditionnelle offre une grande variété de cuisson et de sauces parfumées aux herbes, au jus de grenade, au citron vert séché, cannelle, menthe fraîche, estragon, safran… Ce n’est pas seulement le goût mais aussi l’odorat qui est comblé de parfums subtils et d’arômes. Différentes variétés de Kebab sont préparés durant le Ramadan.
Dans la République islamique, les jeunes filles commencent à jeûner et à prier dès l’âge de 9-10 ans. Quant aux garçons, ils n’observent le jeûne que 4-5 ans plus tard, à l’âge de la puberté.
Contrairement aux sunnites, les chiites iraniens ne font pas les Taraouihs. Ils se contentent des 5 prières de la journée. Le soir, les rues sont plus animées. La musique spirituelle (appelée aussi Sunnati ou Assil) est particulièrement appréciée durant le mois sacré. Les accros du 7e art trouvent aussi leur compte dans le centre de Téhéran. Les salles affichent des mélodrames sociaux et des films d’auteur iraniens. Le cinéma iranien compte des réalisateurs de renom. A leur tête Abbas Kairostami, Panahi, Mohsen Makhmalbaf…
A priori, les cinéastes iraniens sont muselés par la surveillance et la censure stricte du régime islamique, mais ils parviennent à réaliser des chefs-d’œuvre et à s’imposer sur la scène internationale.
Le cinéma iranien des grands auteurs qui ont réussi à sortir du périmètre national impressionne les critiques par son habileté à jongler avec ces interdits.
A Téhéran, les films hollywoodiens, clips, DVD et CD font un malheur auprès de la jeunesse de la capitale. Officiellement jugés dépravantes et donc interdites, des copiees piratées se vendent sous le manteau comme des petits pains. C’est une fenêtre sur le monde, un visa pour les yeux et l’imaginaire.
Mais du 19 au 21 Ramadan… c’est la trêve: Pas de musique, pas d’animation ni manifestations de joie. C’est la commémoration du martyr Ali.
La nuit sacrée est très attendue. Les Iraniens chiites sont presque tous unanimes que la nuit sacrée n’est probable que les 19, 21, 23 ou 27 e jour du mois. Autrement dit, les soirées de ces journées correspondent à des veillées de 23 heures jusqu’à l’aube dans tous les lieux de culte. Prières, exégèses, hadiths… mais aussi sujets politiques sont à l’ordre du jour.
[…]
Amin Rboub
Source: L’Economiste
Modifications apportées par l’une de nos lectrices, et je l’en remercie 🙂
Salam,
Pour les shiites, commémorer le martyr d’Ali (karamallah wadjhah) est plus une tradition qu’autre chose.Dans les hosseinyeh, les gens y vont surtout pour se défouler et se déstresser !
C’est vrai que je ne suis pas retournée en iran depuis 20 ans, mais en principe, les travailleurs sortent à 14h et non à 16h30 comme vous le soulignez.
Le chador n’est pas noir, seulement, mais de toutes les couleurs et seules les vieilles le portent, les jeunes portent plutôt jean, liquette et écharpes sur la tête pour les jeunes filles. Il me semble que vous parlez d’un Iran d’il y a trente ans, juste quelques années après l’avènement de la révolution islamique.
Les iraniens aiment beaucoup leur pays, et c’est le seul pays où shiite (majoritaires) sunites, juifs, chrétiens et zoroastriens (minoritaires) vivent en parfaite harmonie !
Mes enfants garçons ont commencé à jeûner à l’âge de 5 ans, ma fille à 7 ans !
Les iraniens profitent de chaque instant de libre, pas seulement durant le mois de ramazan, pour visiter leur pays de l’est à l’ouest et du nord au sud, ce sont des fervents du pique nique, des randonnées pédestres, du ski et de la natation ! Là, où vous irez, vous trouverez de grands parc, dans toutes les villes et de grandes places !
Le chelo est le riz préparé avec kabab ! le dough n’a rien à voir avec le petit lait !
le pain rond que vous présentez est appelé taftoun.
Le firni est le m’halbi.
sarvenaz says
(…) le début du commentaire a été déplacé en fin d’article.
Je m’arrête là, si je retourne dans mon pays l’été prochain, je me ferai un plaisir de vous inviter, vous paierez votre billet mais serez à ma charge durant un mois – ok –
salam
Sonia says
Bonjour,
Je vous remercie infiniment d’avoir apporté toutes ces précisions, et je me suis permise de mettre votre commentaire en rectificatif à la fin de l’article.
Je ne suis pas l’auteur de cet article, et malheureusement je n’ai jamais eu le plaisir de visiter l’Iran, c’est pourquoi il faut m’excuser si vous avez pu relever quelques inexactitudes.
J’ai toujours aimé voyager, et apprendre à connaître des cultures différentes, grâce à vous nous avons maintenant une vue un peu plus fidèle de votre pays.
Merci