La prière à Al Qods nourrit des frustrations
· Les moins de 50 ans interdits de prière à la Grande Mosquée
· L’ambiance est déprimante à Gaza
· Les lanternes: Une vieille tradition non célébrée cette année
Hamas, Fatah, gouvernement d’union nationale, embargo, gel des salaires, crise économique… Ce sont autant de sujets qui préoccupent et animent les conversations des Palestiniens durant ce mois sacré. En même temps, et en l’absence de terrain d’entente entre Fatah et Hamas, le fossé se creuse davantage entre les nostalgiques de l’ère Arafat, les sympathisants de Abbas et les pro-Haniyeh. Les conséquences de cette impasse se traduisent sur le quotidien des Palestiniens.
Aujourd’hui, la bande de Gaza est plus pauvre que jamais et l’ambiance du mois sacré y est déprimante. L’aide internationale est gelée depuis des mois. En outre, Gaza passe de longues périodes coupée du monde. L’électricité est rationnée, par phases de six heures, après le bombardement de la principale centrale de la zone. Au début du mois sacré, la coutume est que les enfants de Gaza allument des milliers de lanternes colorées. Mais, cette année, le pays fait l’économie de certaines habitudes, faute de moyens et à cause du gel de l’aide internationale.
Du coup, de nombreuses familles se contentent du riz et des lentilles fournis par l’ONU. Ce sont les Nations unies, rappelons-le, qui nourrissent environ 1 million de Palestiniens. Rien que pour septembre, le Programme alimentaire mondial (PAM) a ajouté à ses listes quelque 60.000 personnes, pour un total de 220.000.
En dépit de cette situation préoccupante, Ramadan reste un mois de fêtes, de retrouvailles et de recueillement en Palestine.
Pendant ce mois, la tradition, selon Wacef Mansour, journaliste palestinien, veut que ce sont les enfants qui annoncent la rupture du jeûne à leurs parents. A quelques minutes du coucher du soleil, dans les campagnes et petites villes surtout, les enfants se remplissent les poches de sucreries, se rassemblent et jouent devant les mosquées en attendant l’appel du muezzin. Aussitôt fait, ils se précipitent et courent annoncer la nouvelle à leurs parents.
A la maison, le repas du f’tour est plus riche, plus nutritionnel que d’habitude et les plats sont plus variés. «Ramadan étant le mois de la générosité, il impose que les fidèles soient généreux d’abord envers eux-mêmes», souligne Wacef Mansour.
A la rupture du jeûne, les Palestiniens commencent par les soupes à base de lentilles mélangées au frik (blé vert concassé) ou la soupe aux légumes. Plusieurs variétés de salades sont servies (huile d’olive, oignon, persil, menthe, tomates, poivrons et autres légumes). Ensuite, place aux dattes, figues, fruits et gâteaux (Al Kounassa de Naplouse, Baklawa, Nammoura, Bassboussa, Qatayefs…). Al Qatayefs sont préparés dans tous les foyers palestiniens. C’est le gâteau de Ramadan par excellence. Les variétés de jus et les couleurs des rafraîchissements donne aussi un air de fête aux tables; «Tamr Al Hindi, caroube, réglisse…» sont plus consommés au f’tour.
La tradition est de servir f’tour et dîner en même temps. Le plat de résistance est classique sauf que la quantité de viande y est plus importante durant ce mois. La cuisine palestinienne est généralement similaire à la libanaise, jordanienne ou syrienne. Ensemble, elles représentent l’art culinaire et la gastronomie des Cham.
Le shour venu, place à Kamar Guine, des crêpes à base d’abricots.
Dans les grandes villes, les grandes institutions culturelles et artistiques concoctent des programmations spéciales pour animer les soirées. Lectures poétiques, causeries, contes, pièces de théâtre et chant… constituent le principal de cette animation.
S’y ajoutent les compétitions de lecture du Coran et les psalmodies: «Ce type de manifestation n’a commencé que récemment. Depuis la formation du premier gouvernement palestinien», précise Mansour. Les premières années, des jeunes de pays riverains (Liban, Egypte, Jordanie…) participaient à cette activité. Mais depuis l’Intifada de 2000 et l’embargo, seuls des Palestiniens participent à ce concours ramadanesque, mesures sécuritaires obligent!
Dans le reste du pays, les quartiers et les cafés sont très sollicités le soir. Jeux de cartes, domino et autres jeux de société permettent de veiller tard le soir au milieu de la fumée du narguilé. Ce sont les parties de la table de la chance (Taoulate Azzahr, un jeu de dés local), qui animent le plus les soirées dans les quartiers, les cafés et salons de thé.
Les Palestiniens consomment beaucoup de café et thé noir après le f’tour. Quant au thé vert, sa consommation est très récente dans ce pays.
Mais ce qui frustre des milliers de fidèles palestiniens pendant le Ramadan,: c’est l’incapacité de prier dans la grande mosquée d’Al Qods.
Avant l’embargo et l’Intifada, le triple de la population de cette ville parvenait à prier dans le troisième lieu saint de l’islam.
Depuis l’Intifada, le nombre de fidèles s’est réduit, ils ne sont plus que quelques centaines à s’y rendre. «A Jérusalem Check-point, les interventions sont musclées. Les militaires israéliens n’autorisent à prier que des quinquagénaires et des vieux dans cette mosquée hors du commun», déplore Mansour.
En effet, ajoute-t-il, la sensation de tout fidèle qui parvient à prier à Al Qods est unique, indescriptible. «Il y a une grande différence entre la prière à Al Qods et celle à La Mecque», témoigne ce journaliste qui a vécu les deux sensations. La Mecque est devenue une grande métropole qui n’a rien à envier aux grandes villes modernes: gratte-ciel, voitures, cafés, hôtels, restaurants, magasins… alors qu’Al Qods est restée authentique, intacte comme du temps de Omar Ibn al Khattab, Salah Eddine Al Ayoubi et les compagnons du Prophète. Une terre hautement sacrée et chargée de symboles pour les trois grandes religions.
Les mosquées jouent un rôle social important dans l’arrière-pays, précise Mansour. On y organise chaque année «Mawaïd Al Iftar»; des f’tours collectifs auxquels participent la plupart des familles dans les villages. A l’origine, cette opération était destinée aux nécessiteux et les fidèles de passage ou en voyage. Entre-temps, ce f’tour est devenu l’occasion rêvée pour les habitants du village et les voisins de partager des repas dans un climat convivial.
Les f’tours collectifs sont organisés également dans des quartiers populaires des grandes villes comme Jéricho, Naplouse, Gaza…
Amin Rboub
Source: L’Economiste
Laisser un commentaire