Parures de noces
Depuis sa prime enfance, Zohra a appris à préparer le khôl. « L’art de doser, d’additionner et de cuire est le secret des Ben Ghdhahem », dit-elle. Le procédé reste une énigme : des cristaux de galène et une multitude de racines et d’herbes sont enveloppés dans un foulard, le tout mis dans un couscoussier. L’ensemble est ensuite broyé, pilé, et soigneusement filtré.
Chez la voisine d’à coté, Khalti M’barka, le pilon fait rage. Au fond d’un mortier, des cristaux d’alun crépitent. Ici c’est la « tidnissa », poudre déodorante, qu’on prépare. Khalti M’barka ne se fait pas prier pour louer les vertus de son produit : « Je fais fondre l’alun sur le feu, puis le laisse refroidir. A nouveau cristallisé, je le pile très finement en y mêlant un peu de résine, des clous de girofle, du safran et souvent d’autres herbes odorantes pour le parfumer davantage. Ma poudre élimine les odeurs de transpiration et donne au corps un arôme subtil, naturel, quoiqu’un peu épicé ».
A coté du khôl et de la tidnissa, il y a le henné qui est de tous les rites (mariage, décès, circoncision, accouchement…). La spécialité des femmes de Jbel Boulahnach est le concentré de henné. « Nous préparons le liquide avec des feuilles de henné, de l’encens, du sucre, des clous de girofle, des noix de galle et du thé noir pour renforcer la couleur », dit Zohra. Des doses égales de savoir-faire adaptées aux ressources naturelles de la montagne ont inventé le « harqous » et la « merdouma« , ces teintures au noir profond qui servent aussi bien à colorer le corps qu’à lisser les cheveux.
Les produits enfin prêts, les écouler n’est pas une mince affaire. Zohra, Amti Heddi, Khalti M’barka et les autres n’ont pas le commerce dans le sang. D’autant qu’elles vivent en marge du monde. C’est aux hommes de sortir, dès lors, de leur hibernation. Ils vont exposer leurs précieux flacons dans les souks (marchés) hebdomadaires des villages alentours, à Kalaât Khisba, Thala, Sbeïtla, Jerissa et Tadjerouine… Pour ces marchands ambulants qui s’interdisent de peser et de quantifier leurs produits de crainte du mauvais oeil, il est difficile d’en fixer le prix.
Mais le gros de ces produits cosmétiques traditionnels est acheté directement par les hannana, les maquilleuses professionnelles. Leïla Latifa, une hannana « beldia » (citadine) jusqu’au bout des ongles, n’hésite pas à faire 230 km, de Tunis la capitale jusqu’à Jbel Boulahnach, pour s’approvisionner directement. Elle achète pour 2000 dinars de poduits de beauté chaque saison. C’est au hammam (bain maure) de Bab Souika, quartier populaire de Tunis, qu’elle offre ses services. « Lieu de papotages, de recherche de filles à marier, de vente de bijoux, le bain maure continue à jouer un rôle de premier plan dans la vie quotidienne des Tunisiens », dit un urbaniste. « Lors de certains événements, le hammam devient une véritable rue marchande, renchérit Latifa.
Ainsi, avant de sauter dans le lit conjugal, la jeune mariée me donne son corps pour la couvrir de tidnissa, d’henné et de harqous« . En réalité, les familles bourgeoises tunisiennes requièrent les bons offices des hannana pour plusieurs jours consécutifs, contre 100 dinars la séance. Elles s’installent, parfois une semaine, au domicile de la future mariée, pour l’épiler, la masser, et, surtout, tatouer au harkous certaines parties visibles de son corps : demis cercles sur le front, motifs géométriques sur le dos de la main, croissants et étoiles sur les joues et le menton, et colombes en pagaille sur le décolleté. « Ces marques ne disparaissent que sept jours après », assure cette experte. Quant à elle, Leïla Latifa préfère les parures éternelles : or et diamants.
Texte de Taoufik Ben Brik
Madagascar says
Bonjour,
je trouve votre article sur « Tunisie: les épices de la beauté » fascinant et intéressant. Il ne s’agit pas seulement d’un art culinaire mais il reflète également la culture Tunisien. c’est très beau à lire